Ce texte a été rédigé à l’invitation de Carine Potvin, dans le cadre de la publication de la brochure de la SLRB « Le social et l’art contemporain emménagent », suite à ma participation au comité d’experts du 101e%. J’y reviens sur les raisons de ces comités d’experts.
Qu’aujourd’hui il n’y ait plus d’administration publique qui ne travaille sans l’aval d’une commission, d’un conseil, d’un comité d’experts qui lui soit extérieur, nul ne s’en étonne. Pourtant, que ce recours soit systématique mérite qu’on s’y attarde. En posant ainsi les experts, donc l’expertise, en dehors de l’administration publique, et ce, particulièrement en regard de l’art, on accrédite, sans l’étayer, une double séparation : celle de l’administration et de l’expertise d’une part, celle de l’art et du public d’autre part. Il s’agit d’idées communes. Elles semblent même séduisantes. Elles proposent un modèle où les mondes se distinguent sans se recouvrir, où les limites sont étanches. Chaque monde (celui de l’administration ou celui de l’art) se distinguant, s’opposant au reste du monde.
Dans le cas de l’administration, cette idée de séparation va jusqu’à supposer que tout transfert d’un monde vers l’autre se ferait au prix d’une transformation radicale. Ainsi, l’expert du reste du monde (parfois, on dit de la société civile), une fois engagé par l’Administration deviendrait fonctionnaire (en charge de faire fonctionner l’institution), et en perdrait son expertise. C’est sans doute oublier un peu vite qu’une institution, quelle qu’elle soit, est aussi, et d’abord, composée de femmes et d’hommes singulier.e.s. Au nom de quoi, par quel mouvement, l’expert.e, en tant qu’individu, une fois engagé par l’administration, perdrait-il ou elle son expertise ? Peut-être est-ce que ce mouvement d’inclusion ressemble à un autre : l’histoire de l’art récent a montré qu’à chaque fois qu’un.e artiste cru situer son travail en dehors du champ de l’art, chaque fois qu’il ou elle tenta, en un geste subversif d’en sortir, de mêler l’art et la vie, son travail a été récupéré, absorbé par ce que nous appelons art. L’art a quelque chose d’absorbant.
Certes, il n’a de cesse de se jouer de la marge, de la faire travailler, et ainsi il reconfigure le champ social, mais jamais il ne lui porte atteinte, jamais il ne peut s’en exclure. Un peu comme s’il se renversait dans son autre sans pour autant perdre sa qualité. Il y a un enseignement à tirer de ce mouvement : qu’il n’y a pas de radicalité à la coupure entre l’art et ce qui serait posé comme en face de lui — ici, le public — que cette représentation est sans fondement, ou, en tout cas simple contingence. C’est d’un travail, d’une mise au travail qu’il s’agit. L’art met le social au travail. Si la coupure entre l’art et le public n’est pas fondée, si la coupure entre l’expertise et l’administration ne résiste pas aux faits, pourquoi un comité d’experts ?
C’est qu’un projet comme celui du cent unième pourcent permettant la création et l’installation d’œuvres d’art dans les logements sociaux n’est pas vraiment un projet institutionnel. Tout projet artistique est lié à un désir d’art. Ceci vaut non seulement pour l’artiste qui crée, mais aussi pour tous ceux qui permettent, favorisent, défendent ce travail y compris ceux qui le reçoivent. Mais, une institution, toute institution, ne se soutient d’aucun désir, encore moins d’un désir d’art. Car il n’y a de désir que singulier. Et cette singularité du désir s’oppose à l’institution qui pour fonctionner, administrer, a besoin de l’homogénéité d’un public. Il n’est dès lors pas facile de mettre un désir d’art en acte au sein d’une institution. Or, ce comité d’experts n’est pas un. Il ne se réunit pas sur base d’un programme commun. Il ne parle pas depuis une position de savoir, communément partagé, que lui donnerait sa qualité d’expert. On sait que l’art n’a que faire du consensus. Certes, les membres du comité d’experts ont des compétences et des trajets fort différents et ils apportent une diversité des points de vue qui enrichit l’expertise de l’administration, mais, d’une manière plus essentielle à mon sens, ils apportent ceci qu’ils partagent : ils ne font pas mystère de leur désir d’art.
En ce sens, ils viennent soutenir le désir d’art face à l’institution. Le comité permet que la question de l’art puisse être mise au travail au sein d’une administration afin qu’elle apparaisse en ce point précis du monde qu’on appelle les logements sociaux.
Le 101e% est un processus de création d’une œuvre d’art originale, conçue pour un lieu et un contexte spécifique – à savoir un immeuble déterminé de logements sociaux, ses habitants, ses gestionnaires. Elle est ensuite intégrée dans le lieu. Il ne s’agit pas de l’acquisition d’une œuvre, mais bien de l’aboutissement d’un parcours au cours duquel les habitants, la société de logement, l’artiste et le médiateur se rencontrent et dialoguent.