Le projet « atmosphère sanatoriale » poursuit les recherches concernant l’invention des sanatoriums publics dans le cadre de la lutte contre la tuberculose (inspiration/exposition, Saint-Omer, 2019). S’inscrivant dans le cadre d’une invitation de l’université de Tartu, il prend en compte le contexte de l’histoire de l’Estonie. Ce projet a donné lieu à une exposition présentée à la galerie Kogo de Tartu du 23 octobre au 18 décembre 2020, sous commissariat de Sara Bédard-Goulet et Liina Raus.
Hippocrate écrivait déjà dans son traité « Airs, eaux, lieux » qu’il fallait considérer les saisons, connaître la qualité des eaux, des vents, étudier les divers états du sol et le genre de vie des habitants pour exercer la médecine. Pourtant, ce n’est qu’au moment de la révolution industrielle, dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de tuberculose qui s’abattit alors sur la classe ouvrière, que fut admis l’effet de l’environnement sur la santé. Au début du XXe siècle, cette prise de conscience a donné naissance à de nouveaux lieux, conçus pour offrir un environnement sain : les sanatoriums.
Les sanatoriums contre la tuberculose sont des bâtiments construits dans le but de favoriser la cure du malade : air, soleil, repos et nourriture abondante. Intérieur tout entier tourné vers l’extérieur, la galerie de cure permettait au malade, allongé sur des chaises longues, d’être le plus possible au grand air.
L’air est un mélange de gaz constituant l’atmosphère terrestre. Incolore, invisible et inodore il circule autour de la terre en transportant et redistribuant, avec la chaleur transmise par les continents et l’humidité produite par les océans, toutes les particules suffisamment légères pour être emportées avec lui.
Il est entendu que nos corps réagissent à ce qui les entoure. Mais l’air que l’on imagine nous entourant, nous le respirons également. Nous sommes habités par lui autant que nous l’habitons. Et nous le partageons non seulement avec ce qui est le plus proche mais aussi avec ce qui est le plus lointain.
Plutôt que le lieu immuable favorisant la suspension du temps durant l’interminable cure, le sanatorium est envisagé ici comme un accélérateur de mouvement, un échangeur de particules. L’exposition Atmosphère sanatoriale est envisagée elle-même comme un dispositif d’échanges et de conversions.
La découverte de l’effet de la pénicilline sur les infections bactériennes a révolutionné le traitement de la tuberculose. Après la seconde guerre, la prise d’anti-biotiques se substitue aux cures d’air. Les sanatoriums ont dû s’adapter. Mais leur destin diffère sensiblement selon qu’ils se trouvent d’un côté ou de l’autre du rideau de fer. A l’est, le mot sanatorium restera attaché à la manière dont l’environnement participe de la santé, alors qu’à l’ouest il restera attaché à la gravité morbide de la tuberculose. Les premiers deviendront des stations thermales, les seconds des hôpitaux ou seront abandonnés.
Asthmatique, enfant, un rien me faisait suffoquer. Rien se justifie de ce que la cause n’était pas perceptible pour moi. C’était alors l’effet de l’oppression qui était guetté, puis perçu, comme annonciateur de l’étouffement qui risquait toujours d’advenir, me faisant déjà perdre haleine. Aussi, un nouveau lieu à occuper, même pour quelques heures, était-il autant éprouvé que perçu. On ne pouvait le voir, ni l’entendre ou le sentir, il fallait s’y trouver pour quelques temps, et observer l’effet produit, c’est-à-dire s’observer. Parfois, l’étouffement me prenait rapidement, avec l’évidence de la découverte de l’ennemi, parfois, il ne s’imposait que dans la durée, sans que jamais je ne sois certain de la cause, du lieu qui posait problème, ni s’il allait, comme par magie, disparaître.
Étrangement, les cathédrales eurent souvent l’effet de me faire respirer. L’aspiration vers le haut de leur architecture s’est confondue avec l’inspiration qui était si importante pour moi. Il s’agissait d’éprouver plus que de percevoir.
Entrer au sanatorium est, selon moi, ce que l’entrée au couvent peut être pour le novice : une coupure telle que le monde d’avant n’a plus rien de commun avec le monde d’après. Est-ce un hasard que je sois si bouleversé par le film À bout de souffle ? N’est-ce que l’expression qui parle ?
Que devient une architecture fonctionnaliste conçue dans un but précis lorsque cette fonction disparaît ? Un geste architectural ? Que devient un fauteuil conçu spécialement pour aider les patients tuberculeux à respirer ? Un objet design, « à la fois monumental et aérien, le plus beau fauteuil dessiné par » l’architecte ? Comment fait-on pour conserver les choses qui ont perdu leur valeur ? Leur en attribue-t-on une autre ?
Le sanatorium, son image tramée, et sa chute causée par le Penicillium notatum sont pris comme une question atmosphérique. On y circule comme un nuage, porté par les différences de densité des masses d’air. L’atmosphère peut être pesante, légère, ou stimulante.