Ambiguïté trompeuse

30 janvier 2025, journée d’étude en marge de l’exposition L’Atelier du faux. Faux livres, fausses reliures, fausses identités, Wittockiana :

Chaque jeudi, dès l’aube, la place du marché se couvre d’étals surmontés de leurs auvents colorés. Diverses marchandises y sont exposées avec art et gourmandise à la vue de toustes. Petit à petit, les allées se remplissent de client.e.s, que l’on distingue des badauds au panier accroché à leur bras. Devant une grande tente blanche qui détonne quelque peu parmi cet environnement chamarré, une hôtesse, habillée d’un gilet jaune, bonimente la petite foule. « Approchez messieurs dames ! » Certain.e.s s’approchent. « Venez découvrir vos prochaines vacances ! » Le soleil est encore froid mais déjà prometteur. « Voulez-vous entrer ? » Curieuse, une dame s’aventure. Elle reçoit un catalogue de voyage, également lourd de promesses. Installée dans ce qui ressemble à une salle d’attente, elle le feuillette en attendant d’être rejointe par d’autres amateurs et amatrices. L’hôtesse leur parle de tourisme responsable, respectueux des peuples et de l’environnement, un tourisme qui valorise une certaine précarité gage d’authenticité. Elle invite ensuite le petit groupe à monter à l’arrière d’une camionnette garée de l’autre côté de la tente. La dame qui semblait si intéressée jette brusquement le catalogue par terre et s’emporte : «  C’est scandaleux ! » Elle quitte la tente avec fracas puis disparaît dans le brouhaha du marché. Son comportement tapageur n’en faisait pas vraiment la cible de ce tourisme qui, en envisageant ne laisser dans le lieu visité que les traces de ses pas, promeut une présence particulièrement discrète du voyageur ou de la voyageuse. Pourtant cette dame avait d’abord été séduite par cette offre pour ensuite comprendre qu’il ne s’agissait pas d’une proposition commerciale (aussi éthique fût-elle) mais d’une proposition artistique (aussi amorale fût-elle). Le sentiment d’avoir été leurrée l’avait mise en colère.

Pourtant, tromper le public n’était nullement mon intention.

Pour moi no vacancies était un projet qui voulait interroger le nouvel imaginaire du tourisme responsable. Je me demandais si cette valorisation de la précarité et de la discrétion, dans un cadre sécurisé et pour un temps limité, ne troublait pas la perception de la précarité réelle de celles et ceux qui y sont contraints, qu’ils soient réfugiés, migrants ou demandeurs d’asile? Je voulais rendre actif ce trouble.

Ainsi, la tente était-elle perçue dans un premier temps comme une tente événementielle ; mais, dans un second temps on percevait que ce même abris pouvant servir à héberger des réfugiés. (Il s’agissait en réalité d’une tente prêtée par Médecins sans frontière).

Le magazine imitant un catalogue de vacances était composé à partir de documents existants : soit des extraits de magazines de voyage ou de vacances ; soit des articles journalistiques s’intéressant à la réalité de la précarité de populations déplacées ou réfugiées, soit encore des images illustrant des appels aux dons. La comparaison de ces images mettait en évidence le rapport entre cet imaginaire des vacances « authentiques » et la précarité réelle des réfugiés.

La colère de cette dame indique qu’entre l’ambiguïté qui place le spectateur ou la spectatrice dans un rôle actif et la tromperie qui manipule, la frontière peut être mince. C’est cette limite que j’aimerais mettre au travail dans le cadre de ma participation à cette journée d’étude du 30 janvier 2025 à la Wittockiana.

Musée Wittockiana, rue du Bemel 23, 1150 Bruxelles

https://www.fabula.org/actualites/124985/journee-d-etude-en-marge-de-l-exposition-l-atelier-du-faux.html


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