Vous êtes-vous lavé les mains est le titre d’une exposition présentée à l’été 78, à Bruxelles du 14/11 au 18/12/2021 qui s’inscrit dans un projet relatif à l’entreprise philanthropique de Louis Empain, Pro juventute.
La comparaison de deux cartes postales des années trente représentant la cours de récréation de l’institut de Sainte-Ode air et soleil, laisse voir l’édification d’une construction octogonale semblant être un monument ou une fontaine. L’édicule n’apparaît plus sur les documents des années 50. La légende de la carte postale indique qu’il s’agit d’un lave-mains.
L’institut Sainte-Ode air et soleil a été un projet philanthropique initié et mis en œuvre par Louis Empain dès 1932.
En même temps qu’il confiait à l’architecte Michel Polak la construction, à Bruxelles, d’une prestigieuse villa qui porte encore son nom (31-34), Empain lui confiait la réalisation, en Ardenne (Amberloup), d’un vaste internat destiné à accueillir des enfants défavorisés et à leur offrir un mode de vie sain et vivifiant. En 1935 les premiers enfants «issus de familles dont les ressources sont modestes, jouissent d’une cure d’air et de repos fortifiant, d’une alimentation soignée combinée à des exercices physiques sous une sérieuse tutelle médicale » (L’avenir du Luxembourg, 29 mai 1935).
A cette époque — et ce n’est pas sans écho avec la nôtre — l’hygiénisme apparaît comme le seul remède face à l’épidémie qui sévissait alors : la tuberculose. En offrant aux jeunes défavorisés un milieu de vie fortifiant proche de celui qu’offrait les préventoriums, le projet d’Empain est inscrit dans son époque. A l’hygiène du corps correspond une hygiène de l’esprit et Empain s’en préoccupe tout autant.
Ainsi il rédigera un ouvrage destiné aux éducateurs et aux parents « nos enfants lisent » destinés à les aider à choisir les bons livres à lire.
On peut inférer de son livre et des classifications qu’il y propose une sorte de bibliothèque idéale du jeune garçon ou de la jeune fille tel.le.s que Louis Empain pouvait se les représenter.
Le projet de recherche s’intéresse également à l’iconographie que l’œuvre philanthropique d’Empain a généré (iconographie relativement abondante sous forme de cartes postales) et la manière dont les enfants y sont mis en scène.
Par ailleurs, parallèlement à cette diffusion d’images de l’institut air et soleil, de nombreux articles ont été écrit sur l’oeuvre philanthropique d’Empain en général, sur sa fondation Pro Juventute, et moins nombreux sur l’Institut air en soleil en particulier. C’est en lisant ces articles que nous avons compris qu’à l’origine, le bâtiment a été conçu comme un préventorium. Les préventoriums et les sanatoriums sont des dispositifs architecturaux hygiénistes conçus au début du XXe siècle, dans le cadre de la lutte contre la tuberculose. Les préventoriums, essentiellement destinés aux enfants, proposent une cure d’air et de soleil, ainsi qu’une alimentation saine, dans le but de renforcer l’organisme afin qu’il puisse lutter contre la tuberculose. Il n’est pas, comme le sanatorium, destiné aux malades, mais plutôt à ce qui se nommait à l’époque les débiles. Si l’institut air et soleil a été annoncé dans la presse sous forme d’un préventorium avant sa construction, aucun document trouvé lors de son inauguration ou par la suite mentionne cette appellation, et ce, bien qu’une galerie a été construite et qu’elle semble avoir effectivement joué ce rôle.
Remarque complémentaire au sujet des logiques de patrimonialisation.
Le bâtiment construit par Polack à Amberloup n’est pas classé. Il est même très peu documenté, peu connu. A l’inverse de la Villa Empain. Même architecte, même commanditaire, même moment. Si l’on classe des édifices, des paysages, des sites naturels c’est dans le but de les conserver pour les générations futures. C’est une manière d’en prendre soin. Certains bâtiments sont construits dans le but de prendre soin. On dit de ces architectures qu’elles sont fonctionnelles puisqu’elles sont liées à une fonction : prendre soin. A l’inverse, d’autres bâtiments sont conçus avec une débauche de luxe et de raffinement pour en imposer. Il s’agit d’architecture de prestige, de représentation donc. Les architectures de prestige ne sont-elles pas classées prioritairement à celles qui sont pensées pour prendre soin ? Le classement, qui prend soin de l’architecture, ne semble-t-il pas mépriser l’architecture qui prend soin des corps ?