MAAC, Bruxelles
L’expérience de l’exposition
L’exposition « Tirant d’air » que la MAAC propose cet automne présente, pour une grande part, les mêmes travaux que ceux qui constituaient l’exposition du même nom accueillie par le CAC PASSAGES de Troyes au printemps.
Initialement, il s’agissait pour moi, un peu naïvement sans doute, de proposer la même exposition ; de rendre ces travaux publics à Bruxelles également, de faire en sorte que les amis qui n’avaient pu faire le voyage puissent les éprouver. Bien sûr, l’espace étant différent, je savais que l’exposition le serait également. De plus, un mur de briques peintes en blanc dans la grande salle de la MAAC m’intéressait beaucoup. Il me permettait de réaliser une installation qui me tenait à cœur et qui nécessite une projection sur un tel mur. Cette installation n’avait pas sa place à Troyes. Mais, malgré ces différences, il me semblait qu’il s’agirait de l’exposition des mêmes travaux. Le DVD édité conjointement par le CAC Passages et par la MAAC, et qui en est une forme de catalogue, en témoigne.
Or cette première spatialisation publique du travail a été une expérience qui remit en cause cette manière de concevoir les choses et conséquemment, ma manière d’envisager le travail. Non qu’elle m’ait conduit à repenser les vidéos elles-mêmes — elles n’ont pas été retravaillées — mais bien à repenser la manière dont elles se montrent, ce qu’elles sont en fonction de la manière dont elles sont données à voir. A été profondément modifiée ma croyance en leur existence autonome. C’est qu’à vivre longuement avec ces vidéos, à travailler leurs images, à les retrouver continuellement pour les modifier, le temps passé à leur contact finit par leur conférer une consistance, certes imaginaire, une existence, semblant indépendante de toute manifestation. L’expérience de l’exposition a ainsi produit la négation de l’existence autonome des vidéos.
Sans doute est-ce un lieu commun de comparer l’exposition au déroulement cinématographique ou vidéographique : il s’agit en effet d’un montage de temps ou de temporalités variables. En ce sens, une première spatialisation a permis de prendre la mesure de ce temps, ce qui était nécessaire pour pouvoir l’articuler. (Prendre la mesure est certes une formule très approximative, il n’est pas question ici d’un temps qui se mesure). La temporalité de la réception et de son lien avec l’espace ne se prévoit pas, elle s’expérimente, se réalise. Et il faut bien reconnaître qu’à force d’être dans un rapport d’intimité avec les vidéos, de cette intimité du travail qui manipule, modifie, dilate, contracte, coupe, superpose, la perception s’imaginarise. J’ai perçu que l’artiste n’était peut-être pas immédiatement celui qui était le plus à même de construire l’articulation des temporalités de l’exposition. En ce sens, la mise en espace de Troyes constitue donc pour moi une mise à distance, une médiation, me permettant de saisir quelque chose de la réception possible de ce travail.
Idéalement, cette exposition devrait se voir dans son rapport à celle de Troyes. Idéalement il ne faudrait pas la voir comme une présentation autonome, mais comme une mise en mouvement de la première occurrence. Il s’agit certes d’un souhait utopique. Seul ce document tente de garder la trace de ce mouvement.
Paradoxalement, la spatialisation de travaux vidéographiques permet également d’échapper à la logique successive du flux de la vidéo. Elle permet notamment de comparer, de voir en même temps, de décider du moment où l’on se retourne. Si en un sens l’exposition est comme un montage, en un autre sens, elle en est la négation.
Que le DVD « Tirant d’air » constitue la trace de ce qui a été montré alors qu’il a été gravé avant même que la première exposition ne soit montée n’est pas pour me déplaire. Que ce qui, dans le réel d’un temps successif, a lieu avant, apparaisse imaginairement comme un après coup, et, si possible, réellement comme l’après coup de la réception me convient bien.
Les préfaces s’écrivent après coup, une fois les livres écrits, mais en constituent toujours un préliminaire à la lecture. Comme s’il n’y avait pas moyen que le temps de la lecture et le temps de l’écriture voisinent, soient parallèles. Aussi ce document tente-t-il de garder quelque chose de ce temps-là. En ces temps-là, voila ce qui a pu se penser ; en ces temps-ci, voici ce que c’est devenu. Quelque chose se joue entre le temps de la conception, celui de la production, et celui de la réception.
Après Troyes et avant Bruxelles